Arrêt CAA Bordeaux du 4 février 2025 : Quand l'accord franco-algérien prime sur l'absence de demande de titre
- Gabriel LASSORT
- 18 juin
- 5 min de lecture
Un ressortissant algérien peut-il contester une mesure d'éloignement même s'il n'a jamais demandé de certificat de résidence ? La Cour administrative d'appel de Bordeaux répond par l'affirmative dans un arrêt du 4 février 2025 qui rappelle l'importance de l'examen réel et sérieux des situations individuelles en droit des étrangers.
Les faits : une interpellation qui tourne mal
L'histoire de Monsieur M., ressortissant algérien de 41 ans, illustre parfaitement les difficultés que peuvent rencontrer les étrangers en situation irrégulière, même lorsqu'ils ont des droits méconnus.
Présent en France depuis 2012, Monsieur M. mène une vie discrète jusqu'au 24 septembre 2024. Ce jour-là, il est interpellé à Bergerac en possession d'une fausse carte d'identité italienne. Cette découverte déclenche une procédure judiciaire - il est placé en garde à vue dans le cadre d'une enquête de flagrance - mais aussi administrative.
Dès le lendemain, le 25 septembre 2024, le préfet de la Dordogne prend un double arrêté : obligation de quitter le territoire français sans délai avec fixation du pays de destination, et interdiction de retour en France pour un an. Par un second arrêté du même jour, le préfet des Landes l'assigne à résidence.
Une première victoire devant le tribunal administratif
Heureusement pour Monsieur M., sa situation ne passe pas inaperçue. Le tribunal administratif de Pau examine sa situation et, le 14 octobre 2024, annule la mesure d'éloignement. Cette décision ne satisfait pas le préfet de la Dordogne, qui décide de faire appel devant la Cour administrative d'appel de Bordeaux.
La problématique juridique : l'accord franco-algérien en question
Le cœur du litige repose sur l'application de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968, texte fondamental qui régit les conditions de séjour des ressortissants algériens en France.
L'article 6 de cet accord dispose que "le certificat de résidence d'un an portant la mention vie privée et familiale est délivré de plein droit au ressortissant algérien qui justifie par tout moyen résider en France habituellement depuis plus de dix ans".
La particularité de ce dossier ? Monsieur M. n'avait jamais sollicité la délivrance d'un tel certificat de résidence. Pour le préfet, cette absence de demande rendait inopérant tout moyen tiré de l'accord franco-algérien.
La décision de la Cour : un rappel salutaire du droit
La Cour administrative d'appel de Bordeaux, dans son arrêt du 4 février 2025, rejette catégoriquement cette argumentation préfectorale. Elle énonce un principe fondamental : "la circonstance que M. M. n'a pas sollicité la délivrance d'un certificat de résidence sur le fondement du 1° de l'article 6 de l'accord franco-algérien ne rend pas inopérant son moyen soulevé à l'encontre de la mesure d'éloignement tiré de ce qu'il est en situation de se voir attribuer de plein droit un tel titre".
Cette formulation mérite d'être expliquée. En substance, la Cour considère que lorsqu'un étranger remplit les conditions pour obtenir de plein droit un titre de séjour, cette situation fait obstacle à ce qu'il puisse légalement faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français, même s'il n'a jamais formellement demandé ce titre.
Analyse et implications pratiques
Cette décision s'inscrit dans une jurisprudence constante qui impose aux préfectures un examen réel et sérieux de la situation de chaque étranger avant de prendre une mesure d'éloignement.
La portée de cet arrêt dépasse le seul cas de Monsieur M. Elle rappelle que l'administration ne peut pas se contenter de constater qu'un étranger n'a pas de titre de séjour pour le reconduire à la frontière. Elle doit vérifier si cette personne ne remplit pas les conditions pour en obtenir un, notamment au titre des accords bilatéraux comme l'accord franco-algérien.
Une protection renforcée pour les Algériens
Pour les ressortissants algériens présents en France depuis plus de dix ans, cette jurisprudence offre une protection substantielle. Même en l'absence de démarches administratives préalables, ils peuvent invoquer leur droit au séjour pour contester une mesure d'éloignement.
Cette protection se justifie par l'ancienneté de leur présence sur le territoire français et s'inscrit dans l'esprit de l'accord franco-algérien, qui vise à faciliter l'intégration des ressortissants algériens ayant développé des liens durables avec la France.
Des conséquences pour la stratégie des préfectures
Cet arrêt invite les préfectures à revoir leurs pratiques. Avant de prendre une mesure d'éloignement, elles doivent désormais systématiquement vérifier si l'étranger concerné ne remplit pas les conditions d'attribution de plein droit d'un titre de séjour, y compris lorsqu'il n'en a jamais fait la demande.
Cette obligation d'examen approfondi s'applique particulièrement aux situations régies par des accords bilatéraux, mais aussi plus généralement à tous les cas où la loi prévoit une délivrance de plein droit.
Que faire en cas de situation similaire ?
Si vous êtes ressortissant algérien présent en France depuis plus de dix ans et que vous faites l'objet d'une mesure d'éloignement, plusieurs démarches s'imposent :
L'urgence : respecter les délais
Les recours contre les mesures d'éloignement doivent être formés dans des délais très courts (généralement 48 heures pour les OQTF sans délai). Il est crucial de réagir rapidement et de saisir immédiatement un avocat spécialisé.
Rassembler les preuves de présence
Il faut constituer un dossier démontrant votre présence habituelle en France depuis plus de dix ans : contrats de travail, attestations d'hébergement, factures, certificats de scolarité des enfants, attestations médicales, etc. Tous les documents susceptibles de prouver votre ancrage territorial sont utiles.
Faire valoir l'accord franco-algérien
Même si vous n'avez jamais demandé de certificat de résidence, vous pouvez invoquer votre droit à l'obtenir de plein droit devant le juge administratif. L'arrêt de la CAA de Bordeaux vous donne désormais un appui jurisprudentiel solide.
L'accompagnement juridique est essentiel
Ces procédures techniques nécessitent l'intervention d'un avocat maîtrisant le droit des étrangers. Seul un professionnel expérimenté peut analyser votre situation, identifier les moyens juridiques pertinents et vous représenter efficacement devant les tribunaux.
Conclusion
L'arrêt de la Cour administrative d'appel de Bordeaux du 4 février 2025 constitue une victoire importante pour les droits des étrangers. En rappelant que l'administration doit examiner la situation de chaque personne au regard de l'ensemble des textes applicables, elle renforce la protection des ressortissants algériens anciennement installés en France.
Cette décision démontre l'importance d'une défense juridique appropriée face aux mesures d'éloignement. Elle illustre aussi que même dans des situations apparemment désespérées - comme celle d'une interpellation avec de faux papiers - des solutions juridiques existent pour peu que l'on sache faire valoir ses droits.
Pour les personnes concernées par des situations similaires, un conseil s'impose : n'hésitez pas à consulter rapidement un avocat spécialisé. Vos droits existent, encore faut-il savoir les invoquer dans les formes et délais requis.
Vous vous trouvez dans une situation similaire ? Le cabinet de Maître Gabriel LASSORT vous accompagne dans toutes vos démarches en droit des étrangers. Spécialisé dans le contentieux d'urgence et les procédures devant les tribunaux administratifs de Bordeaux et de la région, notre cabinet intervient en français, anglais et allemand. Contactez-nous pour une consultation dans les 24 heures.
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